Discographie

Quand on rencontre une voix, une alchimie mystérieuse s’opère : la personnalité qu’on a pu croiser dans la vie « réelle » est transcendée, elle devient porteuse de ce quelque chose qui nous dépasse – ce que certains appellent Dieu, d’autres la Beauté. Quand mon ami Frédéric Manoukian m’a présenté Mourad Amirkhanian, alias Adam Barro, j’ai rencontré un personnage sympathique mais un rien réservé ; quand nous avons commencé à parler du chant, j’ai découvert un être passionné qui s’animait pour convaincre ; et quand je l’ai enfin entendu, j’ai été emporté par la beauté de ce timbre grave et profond, par cette luminosité intérieure qu’il sait mettre dans son chant, avec quelque chose d’ardent, de mystique.

Sa tessiture de baryton basse lui ouvre la porte de très nombreux rôles, sur la lancée d’une carrière déjà bien commencée à travers les multiples scènes des pays qui l’accueillent.

Mais c’est peut-être dans la musique sacrée que la ferveur qui émane de cette voix trouve le mieux à s’épanouir : de son beau disque de chants sacrés arméniens à celui qu’il consacre à présent à différents Ave Maria, Adam Barro crée un lien émouvant entre l’intériorité et l’infini.

C’est pourquoi il faut écouter Adam Barro.

Alain Duault 

« Où est votre trésor, là aussi sera votre cœur »,
lit-on dans l’Évangile (Luc 12,34 ; Matthieu 6,21).

C’est le cœur qui fait toute la différence entre l’or qui éblouit, le luxe qui écrase, la richesse qui aveugle et le trésor qui ouvre l’intelligence, illumine la conscience et dévoile une beauté qui ne passera point. Le saint Catholicos Nersès Chnorhali, au XIIe siècle, a ainsi décrit cette Épiphanie : « Aube de lumière, Soleil de Justice, Source de l’Esprit, Découverte du Mystère ». Encore qu’en Arménie l’art des peintres et des sculpteurs sache dépasser la forme et faire pressentir l’invisible, la musique y parvient tout naturellement par son essence immatérielle.

Il faut une voix pure et fervente, comme celle de Mourad Amirkhanian, un souffle long, puissant et chargé d’émotion, pour retrouver les accents d’antiques mélodies qui s’égrènent, depuis le Ve siècle, sur un millénaire et demi.

Première nation chrétienne de l’histoire, grâce à la conversion de leur roi Tiridate au début du IVe siècle, les Arméniens se sont assimilés au peuple de la Bible. Ce qui retentit dans leurs chants, c’est la mémoire du peuple élu qui a bu l’eau vive jaillie des pierres du désert et chemine, de génération en génération, sous la conduite de ses patriarches et de ses pasteurs.

En cours de route on se raconte des récits d’autrefois, on se rappelle des signes et des prodiges : l’Éternel qui naît dans le temps, le Verbe qui se fait chair, le Jourdain frémissant d’effroi en baptisant son Créateur, les larmes du Tout-Puissant sur la Croix, le Sépulcre fleuri de la Résurrection. On célèbre les mystères sous la tente de l’Alliance, on y recommande à Dieu la mémoire des défunts.

Si longue que soit la marche, si incertaine que soit son terme, elle a un sens et un but. Quand retentira la trompette de l’Ange, les fins dernières s’éclaireront d’un seul coup. On se trouvera soudain en présence du Juge, redouté pour sa rigueur, vénéré pour sa miséricorde. L’ouie provoquera la vision : c’est « en entendant la voix » que l’on découvrira le trône. Le chant liminaire de ce récital nous enseigne comment l’écouter. Fions-nous à l’expérience de l’interprète, à l’authenticité de son message, à la sûreté de son interprétation.

Jean-Pierre Mahé